Les Randos de Fred & Paul

GR 65 : Nasbinals → Saint-Chély d'Aubrac (20 km) - juin 2014

Vers 9 h, nous débutons cette étape qui nous fera encore cheminer à travers le plateau de l'Aubrac. Les trois kilomètres nous séparant de Nasbinals se déroulent, en légère descente, sur un chemin caillouteux bordé de murs de pierres.

GR 65 entre Montgros et Nasbinals

Le village de Nasbinals (1180 m d'altitude) compte environ 500 habitants. L'origine de Nasbinals remonterait au VIIIe siècle. En 1074, les moines de Saint-Victor de Marseille font éclore la robuste église romane, de style auvergnat, dont ils font un de leurs prieurés. Placée sous le patronage de la Vierge, Sainte-Marie de Nasbinals offrait un abri sûr avant le franchissement, périlleux par mauvais temps, du plateau d'Aubrac.

Cette belle église construite aux XIe et XIIe siècles, puis remaniée au XIVe, est bâtie en granit avec alternance de basalte. Le portail sud, s'ouvrant sur la place du village, permet de pénétrer à l'intérieur de l'édifice qui est plus lumineux que l'on ne pourrait l'imaginer. Le décor intérieur est extrêmement sobre, sans doute en raison de l'emploi du granit difficile à sculpter.

GR 65 : Nasbinals, église Sainte-Marie

Au portail, on retrouve quelques chapiteaux à décor d'entrelacs ou de crosses, mais un seul se distingue. Il figure un archer qui semble combattre un personnage debout armé d'une lance et d'un bouclier ; ils sont entourés d'entrelacs qui occupent tout l'espace laissé libre entre eux.

GR 65 : Nasbinals, église Sainte-Marie (chapiteau sculpté)

Depuis 1998, le tronçon entre Nasbinals et Saint-Chély d'Aubrac, que nous allons maintenant emprunter, ainsi que celui entre Saint-Côme d'Olt et Espalion, est classé au Patrimoine mondial de l'Unesco. Ces « sections de sentier » sont exceptionnelles, car elles ont conservé une partie de leur physionomie d'origine. À côté des ponts, des édifices religieux et hospitaliers, elles témoignent du rôle essentiel qu'ont eu les Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle dans les échanges et le développement religieux et culturel au cours du Moyen Âge.

GR 65, UNESCO : Nasbinals - Saint-Chély d'Aubrac

Après avoir quitté Nasbinals, nous montons d'abord le long de la D987, puis sur un chemin forestier. Le parcours traverse le ruisseau de Chambouliès, au pont de Pascalet, et continue ensuite son ascension vers la colline. Nous passons plusieurs barrières et nous nous retrouvons, dans les pâturages, au milieu des troupeaux de vaches.

GR 65 entre Nasbinals et Aubrac, passage de barrières GR 65 entre Nasbinals et Aubrac, dans les estives

La race Aubrac a une histoire voisine de celle de l'Abondance. Implantée depuis très longtemps dans la région, elle a été développée et améliorée par les moines de l'abbaye d'Aubrac. Malheureusement, la Révolution française pilla les richesses de l'abbaye et mit fin aux efforts entrepris pour cette race. Sous le Second Empire, des éleveurs la croisèrent avec les races Suisse et Brune des Alpes ; opération faite dans le but d'améliorer le rendement laitier et pour produire des bœufs de trait. Avec la mécanisation et une traite en voie de limitation, les éleveurs croisèrent alors les Aubrac avec les races Charolaise et Limousine pour en faire des bêtes à viande ; une politique qui faillit faire disparaître la race Aubrac, sauvée de justesse en 1975 par un plan de sauvegarde pour préserver la race d'origine.

L'Aubrac est un bovin à l'allure racée de grande élégance. La vache pèse de 500 à 700 kg, le taureau de 900 à 1 250 kg. La robe, de toute beauté, est unicolore variant du fauve au gris froment ; elle est nettement plus foncée chez le taureau. Si le lait est de moins en moins utilisé pour faire du beurre, il est toujours à la base des fromages régionaux, le Cantal bien sûr, mais surtout le Laguiole.

GR 65 entre Nasbinals et Aubrac, vaches Aubrac

À travers les pâturages, nous apercevons le buron de Ginestouse-Haut. Dès la moitié du XIXe siècle, des burons sont construits sur l'Aubrac. Ce bâtiment était composé de 3 pièces : au rez-de-chaussée, la pièce principale où l'on retrouvait les outils pour la fabrication du fromage et un semblant de cuisine ; à l'étage, le grenier où les hommes dormaient et entreposaient des réserves de foin pour les veaux ; la cave, toujours située au nord et en partie enterrée, où les fromages étaient stockés et affinés. Les buronniers étaient au nombre de quatre du 25 mai au 13 octobre : le Cantalès dirigeait le buron et la fabrication du fromage, le Pastre s'occupait du troupeau, le Bédélier des veaux, et le Roul, le plus jeune, faisait l'apprentissage de la montagne dès 8-12 ans et effectuait les tâches ingrates.

Après le franchissement d'une nouvelle barrière, nous atteignons la grande draille. Les drailles (chemins mi-herbeux, mi-caillouteux, bordés de murets de pierres sèches) sont de très anciennes voies tracées, au cours des siècles, par les troupeaux de moutons venant paître l'herbe des montagnes durant l'estive. Les vaches et taureaux de race Aubrac ont aujourd'hui remplacé les moutons.

Soudain, alors que nous n'étions qu'une petite dizaine de randonneurs sur ce parcours, nous voyons, surgissant du sommet d'une colline, des centaines de marcheurs. Le plateau de l'Aubrac réputé pour être un vaste espace de calme et de tranquillité est aujourd'hui bien différent ! C'est dans le village d'Aubrac que nous saurons le pourquoi de cette foule...

GR 65 entre Nasbinals et Aubrac GR 65 entre Nasbinals et Aubrac

C'est au point le plus élevé de la journée, 1368 mètres d'altitude, que nous entrons dans le département de l'Aveyron. Nous passons à côté d'une statue blanche de la Vierge avant de franchir un dernier échalier et d'atteindre le village d'Aubrac.

GR 65 entre Nasbinals et Aubrac, échalier

Le premier hôpital « l'Hospice Notre-Dame des Pauvres », dont il ne reste aujourd'hui plus rien, a été fondé par Adalard, vicomte des Flandres, et quelques compagnons. Celui-ci réalisait ainsi un vœu qu'il avait fait après avoir échappé, à cet endroit, à une attaque de voleurs. Cet hôpital devait devenir pour de longs siècles la providence des voyageurs, des pauvres et des pèlerins. Le monastère comprenait, autour de l'église, les bâtiments hospitaliers et diverses dépendances, dont les bâtiments conventuels et un cimetière ; le site était entouré d'une enceinte.

Élu à vie par ses frères, le prieur de la communauté portait le titre de Dom - abréviation du latin Dominus -, qui valut à l'hôpital d'Aubrac, l'appellation de Dômerie. Le pèlerin était reçu par le Dom qui lui présentait de l'eau pour se laver les mains. Après lui avoir prodigué quelques soins corporels : lavement des pieds et nettoyage des vêtements pour les débarrasser des poux et des souillures, on lui offrait le gîte et la nourriture.

Un bâtiment spécial accueillait les pèlerins malades. Ceux-ci bénéficiaient d'une nourriture plus recherchée et abondante, de lits moelleux, d'un bon éclairage et d'un service divin assuré à leur chevet. En dépit de cette sollicitude, il arrivait que l'hôpital constitue, pour certains pèlerins, la dernière étape de leur pérégrination. Cinq cloches étaient abritées dans le clocher de l'église du monastère dont l'une, la célèbre « Maria », dite « cloche des Perdus », était actionnée durant de longues heures du jour et de la nuit en temps de neige et de brouillard pour guider les voyageurs et pèlerins égarés.

GR 65 : Aubrac

S'il est fait mention, dès 1694, d'une auberge à proximité de la Dômerie, les premières habitations ne sont construites, autour du monastère à l'abandon, qu'au cours du XIXe siècle ; plusieurs décennies sans doute après le départ des religieux pendant la Révolution française, par réemploi des matériaux des anciens édifices. Il ne subsiste aujourd'hui que :

  • L'église Notre-Dame-des-Pauvres, dont la construction date de la fin du XIIe siècle. Le clocher actuel a été érigé au début de la seconde moitié du XVe siècle.
  • La « Tour des Anglais », haute de 30 mètres et abritant de nos jours un gite d'étape. Elle a été construite à la hâte, en 1353, pour se défendre contre les Anglais (c'était l'époque de la guerre de Cent Ans). La tour imposante, mais malheureusement inefficace, ne put résister à l'invasion d'une bande de routiers qui assaillirent le monastère en 1360.
GR 65 : Aubrac, tour des Anglais et statue du Cantalès

La tour des Anglais et la statue du « Cantalès »

C'est au son d'une fanfare, avec une foule de marcheurs, que nous faisons notre entrée dans le centre du village. Nous sommes ici à Aubrac, à l'endroit du ravitaillement de midi de l'événement : Aubrac au Cœur. Cette randonnée annuelle propose trois parcours différents pour faire découvrir au grand public cette belle région. Ne sachant pas, au début, de quoi il s'agit et voyant un grand buffet en libre-service ; nous en profitons pour nous servir un verre de vin et goûter aux nombreux produits locaux.

Aubrac au cœur, pique-nique

Il est presque 12 h 30 quand nous quittons le village d'Aubrac pour entamer les huit derniers kilomètres de cette étape. Après avoir suivi pendant 600 mètres la D987, le GR 65 bifurque, à gauche, dans un sentier qui descend à travers un bosquet puis une clairière. Le paysage laisse deviner, au loin, la vallée du Lot que nous rejoindrons demain. Même si la végétation se transforme peu à peu, nous sommes encore provisoirement dans l'Aubrac.

GR 65 entre Aubrac et Saint-Chély d'Aubrac GR 65 entre Aubrac et Saint-Chély d'Aubrac, descente vers Belvezet

La descente se poursuit sur des sentiers très rocailleux vers le hameau de Belvezet. Ici, on peut voir un neck (cheminée de lave dégagée par l'érosion) où se trouvent les ruines d'un donjon : reste des vestiges du château des seigneurs de Belvezet, connu dès le XIIIe siècle. On retrouve la roche volcanique tout autour de ce petit village.

GR 65 : Belvezet

À la sortie du hameau, la pente du chemin s'accentue davantage. La descente jusqu'à Saint-Chély d'Aubrac se fait en suivant la Boralde. On appelle boraldes les petits cours d'eau de l'Aubrac qui rejoignent le Lot sur sa rive droite. Amorcées par les langues de glace qui s'écoulaient de la calotte glaciaire recouvrant le plateau, il y a 20 000 ans, elles ont creusé de profondes vallées dans le socle métamorphique ; le profil en U du début de leurs cours en atteste clairement. En dessous de 1000 mètres d'altitude, le profil en V, caractéristique du creusement fluvial, prend le relais. Les pentes sont principalement boisées de hêtres et de chênes, en fonction de l'altitude et de l'exposition, alternant avec quelques prairies et cultures. La Boralde de Saint-Chély d'Aubrac, longue de 25 km, prend sa source au roc de Campiels (1340 m), à l'est d'Aubrac, et rejoint le Lot à Saint-Côme d'Olt.

Un peu avant 15 h, nous arrivons à Saint-Chély d'Aubrac. Depuis le plateau de l'Aubrac, nous sommes passés de 1368 à 815 mètres d'altitude ! En descendant vers la vallée du Lot, nous avons aussi retrouvé le soleil et la chaleur... qui nous accompagneront jusqu'à Conques. Deux écoles s'opposent sur l'origine du nom. Pour certains, Saint-Chély d'Aubrac viendrait d'une déformation de Saint-Hilaire, pour d'autres de sanch Eli (Saint-Eloi en occitan)... qui est aussi le saint patron de la paroisse. Quant aux habitants, ils n'ont un nom que depuis 2009 : ce sont les Saint-Chélois.

GR 65 : Saint-Chély d'Aubrac

La première attestation du village remonte à 1082, mais on trouve des traces d'habitat datant de 3400 ans avant notre ère. Le bourg médiéval, probablement ceint d'un rempart, s'étendait sur la partie basse, de la Boralde à la rue du Château. Les échanges permanents établis avec la prospère Dômerie d'Aubrac renforceront son importance. Avant 1552, Saint-Chély d'Aubrac avait deux foires aux bestiaux où se rendaient des marchands depuis tout le Languedoc et l'Espagne. On comptait également un artisanat très actif avec de nombreux tisserands qui traitaient la laine venant du plateau, des tanneurs, des forgerons... autant d'activités qui ont pu s'établir grâce à la présence de la Boralde et qui ont marqué l'identité des lieux.

Au début du XXe siècle, Saint-Chély d'Aubrac est un bourg prospère. En témoignent les grandes bâtisses de l'avenue d'Aubrac, mais aussi les nombreux commerces dont nous voyons encore aujourd'hui la trace dans le village. La suite allait être plus difficile : exode rural, disparition des petits métiers artisanaux, attractivité des villes... le bourg compte aujourd'hui 250 habitants.