Camino : Belorado → Atapuerca (30 km) - juin 2019
Vers 8 h 30, après un bon petit-déjeuner, nous quittons notre hébergement. Au-delà de l'avenida Camino de Santiago, nous traversons la N120 et prenons, sur la gauche, un chemin de terre. Un panneau, au début de ce dernier, nous informe que le tronçon de 3,5 km entre Belorado et Tosantos a été « rénové », en 2010, afin que tout le monde (piétons, cyclistes, personnes à mobilité réduite,…) puisse l'emprunter. Grâce à une passerelle en bois, parallèle au pont routier, nous franchissons le Tirón (65 km) ; un affluent de l'Èbre. Le parcours continue, en légère montée (de 761 à 824 mètres d'altitude), sur ce beau chemin évoluant à une centaine de mètres de la grand-route.
Après Tosantos, nous poursuivons l'ascension, au milieu des terres cultivées, vers Villambistia (863 mètres d’altitude). Sur la droite, nous apercevons, dissimulé dans la falaise, le sanctuaire troglodytique de Nuestra Señora de la Peña.
À l'entrée de Villambistia, nous découvrons l'église dédiée à San Estebàn, datant du XVIIe siècle et constituée d'une seule nef à trois travées. Un peu plus bas, dans le centre du village, près du lavoir, se trouve la chapelle San Roque. Cet édifice (1712), récemment restauré, conserve un retable rococo provenant du couvent San Francisco de Belorado. Nous y apposons un cachet sur la credencial.
Jadis, un pèlerin était arrivé au village extrêmement fatigué. Un vieil habitant des lieux l'encouragea à se rafraîchir la tête dans la fontaine située devant la chapelle ; juste après cet acte, le marcheur senti ses forces revenir. Lorsqu'il parvint à Santiago, il fut tellement surpris par ce fait qu'il l'a raconté aux autres pèlerins. C'est ainsi que, de bouche à oreille, cette histoire est parvenue jusqu'à nous. Depuis lors, selon la tradition, se mouiller complètement la tête dans la fontaine provoquerait un apaisement total de la fatigue dans les moments les plus difficiles…
À la sortie de Villambistia, nous reprenons le parcours campagnard, toujours en légère montée. Après 1,2 km, le Camino Francés traverse la N120 et atteint ensuite Espinosa del Camino. Au-delà de ce village, nous poursuivons notre périple, sur un large chemin montant (de 892 à 945 mètres d’altitude), pendant 1,5 km, entre les champs de céréales. Au terme de ce tronçon, presque rectiligne, nous passons près du monastère San Felices de Oca (IXe siècle), dont le seul vestige est une abside. Selon la tradition, c'est ici que le fondateur de la ville de Burgos, le comte Diego Rodríguez Porcelos, aurait été enterré, vers 885 ; une plaque commémorative est apposée sur l'édifice.
Nous descendons rejoindre la N120, mais juste avant d’atteindre cette dernière, nous prenons un agréable sentier qui évolue, pendant 700 mètres, en contrebas de la grand-route. C'est sur ce tronçon que nous franchissons l'Oca, sur une passerelle en bois ; cette rivière, d'environ 70 km, est un affluent de l'Èbre.
Vers 11 h 30, nous arrivons à Villafranca Montes de Oca. L'origine de cette ville remonte à plus de 2300 ans ; à l'époque romaine, elle s'appelait « Auca ». Jusqu'en 1075, la cité fut le siège d'un évêché (considéré comme l'un des premiers de la péninsule ibérique) ; ce siège épiscopal a ensuite été déplacé à Burgos. Plus tard, attirés par les privilèges royaux, de nombreux francs ont déménagé dans la région, ce qui a donné naissance à son nom actuel que l'on traduit donc plutôt par « ville des Francs » que par « Villefranche ».
Après quelques achats pour le repas de midi, nous quittons la N120 et passons à côté de l'église paroissiale néoclassique datant de la fin du XVIIIe siècle. Dédiée à Santiago, elle conserve une intéressante sculpture baroque de l'apôtre. Un peu plus haut, nous longeons l'hôtel San Antón Abad qui est en fait un ancien hôpital pour pèlerins (la cité compta un hôpital dès l'an 884). L'édifice actuel a été érigé, vers 1377, par l'épouse d’Enrique II, roi de Castille, puis agrandi sous les rois catholiques.
C’est à la sortie de la ville que les choses sérieuses commencent avec l'ascension vers les Montes de Oca ; en deux kilomètres, nous passons de 960 à 1 130 mètres d’altitude. Cette montée s'effectue sur des chemins de terre, ou caillouteux, au milieu d'une forêt de chênes et de hêtres. Si nous profitons pleinement de ce décor auquel nous ne sommes plus habitués (après plusieurs jours au milieu des vignes et champs de céréales), il faut se souvenir que cet endroit était jadis fort redouté. En effet, au Moyen Âge, les Montes de Oca étaient peuplés de loups et de voleurs qui, protégés par les bois denses environnants, agressaient les pèlerins.
Arrivés sur le plateau, nous montons encore d'une vingtaine de mètres (sur 1 km) et parvenons ainsi, à proximité de la N120, au col de la Pedraja. Nous y découvrons une grande stèle portant la date « 1936 ». Ici, environ trois cents personnes ont été fusillées par ceux qui ont soutenu le coup d'état du général Franco contre la République. Ils furent assassinés dans les premiers mois de la Guerre Civile (1936 - 1939) pour leurs idéaux politiques.
Au-delà du monument, le Camino Francés descend franchir un ruisseau (1 118 mètres d’altitude) et remonte, aussi sec, à la même hauteur, sur l’autre versant. Nous nous éloignons ensuite de la N120 et évoluons, pendant 7 km, sur de larges pistes (probablement des coupe-feux) au milieu de cette vaste forêt de chênes et conifères. Ce parcours, pas toujours bien balisé, perd lentement de l'altitude et quitte le couvert forestier à un kilomètre de San Juan de Ortega.
Vers 14 h 30, nous atteignons le village (1 005 mètres d’altitude) et y effectuons une pause boisson. San Juan de Ortega désigne à la fois le saint bâtisseur et le monastère dont il fut le maître d'œuvre. En 1094, alors qu'il avait 14 ans et se préparait à une carrière ecclésiastique, Juan Velaz de Quintana Fortuño (de son vrai nom) rencontra, à Burgos, Santo Domingo de la Calzada. Les deux hommes ont consacré leur vie à protéger les pèlerins, collaborant avec le roi Alphonse VI dans la construction de chaussées, de ponts, d’hôpitaux et d’églises qui fixèrent l'itinéraire du Chemin.
Après la mort de Santo Domingo en 1109, Juan effectua un pèlerinage à Jérusalem. Lors de son retour, une tempête menaça son embarcation. Juan implora alors Dieu, par l'intercession de Saint-Nicolas de Bari, de lui sauver la vie en échange de quoi il créerait une chapelle en son honneur. Revenu sain et sauf, Juan chercha le bon lieu pour installer son ermitage. Il trouva cet endroit solitaire, situé dans les Montes de Oca, où régnait une végétation abondante (surtout des « orties », ortega en espagnol). San Juan de Ortega, dirigea ce sanctuaire avec des logements pour les pèlerins et un hôpital ; à son décès, en juin 1163, il légua l'ensemble à ses disciples.
Nous admirons l'église et la chapelle dédiée à San Nicolás ; cette dernière est le noyau originel du complexe monastique. La tradition nous informe que San Juan de Ortega, avec son frère Martín, l'a terminée vers 1120. L'édifice, que l'on peut voir de nos jours, aurait été reconstruit, à la fin du XVe siècle, sur ordre d'Isabelle la Catholique. Au chevet, on trouve le retable baroque présidé par l'image de saint Jérôme.
L’église a été construite en 1474 ; la façade, de style classique, a été rajoutée au XVIIe siècle. À l'intérieur, on peut remarquer quelques chapiteaux, comme celui qui décrit le combat de Roland et Ferragut et, surtout, le triple chapiteau de la Nativité. Il révèle le cycle de l'Incarnation où, pour la première fois, l'archange Gabriel est représenté à genoux devant la Vierge, reconnue comme mère de Dieu. Celle-ci, les deux mains ouvertes, paumes en avant, accepte la volonté divine. Derrière elle, une servante regarde le spectateur. À côté, la Vierge est représentée avec Élisabeth qui lui pose, dans un geste plein de tendresse, la main gauche sur le ventre, lors de la Visitation. Le reste du chapiteau est entièrement décoré de scènes de la Nativité. À chaque équinoxe, vers 17 h, le chapiteau est éclairé par un rayon de soleil.
Au centre de l'église, on trouve un somptueux baldaquin, de style gothique élisabéthain, datant 1464. Il est sculpté de six scènes évoquant la vie et les miracles de San Juan. Tout près, on découvre le tombeau, merveille d'art funéraire roman qu'un comte, ami de San Juan, le sachant au plus mal, lui avait destiné. Dans son agonie, Juan de Ortega garda assez de lucidité et d'humilité pour lui préférer une pierre nue. Le tombeau sculpté resta pour sa gloire... vide. Les deux sarcophages se trouvaient jadis dans la crypte, mais elle a été fermée, en mai 2005, suite à une inondation. Si la tombe romane, qui n'a pas été utilisée, est désormais ici dans l'église, le sépulcre avec les restes du Saint se trouve dans la chapelle San Nicolás depuis mars 2019.
Nous ne prolongeons pas trop la pause, car contrairement à beaucoup de pèlerins qui font étape ici, nous devons encore marcher six kilomètres. Nous prenons d'abord un beau chemin forestier puis, au-delà d’une barrière canadienne, nous continuons dans une vaste clairière. Par un chemin gravillonné, l'itinéraire descend vers Agés.
Ce beau village a été donné, en 1052, au monastère Santa María la Real de Nájera par le roi García de Navarre ; ce lien a duré jusqu'au XVIIe siècle. Selon la légende, les entrailles de ce roi, décédé en 1054 lors de la célèbre bataille d'Atapuerca, auraient été enterrées sous la dalle d'entrée de l'église Santa Eulalia de Mérida. L'édifice date du XVIe siècle, mais aurait été construit sur une église plus ancienne (Xe siècle).
À la sortie d’Agés, nous marchons au bord d'une route jusqu’à Atapuerca ; ce tronçon de deux kilomètres n'est pas très passionnant ! Lorsque nous franchissons la rivière Vena, nous pouvons voir, sur la gauche, le pont, de style roman à arcade unique, attribué à San Juan de Ortega. Pour traverser la zone marécageuse qui s'étendait entre Agés et Atapuerca, le saint ingénieur a construit une chaussée dont de petites sections sont encore préservées.