Camino : Castrojeriz → Frómista (25 km) - avril 2023
Après un bon petit-déjeuner, nous commençons cette étape vers 9 h. À la sortie de Castrojeriz, nous traversons une route et prenons un chemin de terre descendant jusqu’à l’Odra. Cette rivière nait près de Fuenteodra et se jette, après 65 km, dans le Pisuerga (rivière que nous traverserons dans sept kilomètres). Nous empruntons un sentier sur ce qui serait un ancien pont romain, puis nous franchissons le cours d’eau sur une passerelle en bois (769 m d’altitude). Il devient ensuite évident que le Camino se dirige vers la pente abrupte, que nous apercevions depuis un moment déjà, sur le flanc de la colline en face de nous. Un poteau, en début d’ascension, annonce une côte à 12 % sur un kilomètre…
Au sommet (904 m d’altitude), après cette rude montée, nous effectuons une pause, sur les bancs installés près du mirador de l’Alto de Mostelares. Nos efforts sont récompensés par le beau panorama sur Castrojeriz et sur la vaste plaine qui s'étend autour de nous.
Pendant 500 mètres, nous progressons sur le plateau avant d’amorcer la descente avec une pente encore plus raide que celle que nous avons dû affronter pour monter (18 % sur 350 m)… la suite du parcours, sinuant dans la campagne, est clairement visible. Après un bref tronçon bétonné, ce qui facilite la descente, nous continuons sur un large chemin, gravillonné ou terreux, évoluant au milieu des champs.
Après environ trois kilomètres, nous atteignons le lieu-dit « Fuente del Piojo » (une aire de repos à l’ombre de quelques arbres), situé au bord d’une petite route. Le Camino Francés emprunte cette voie asphaltée sur 800 m avant de la quitter, pour un chemin caillouteux, sur la gauche, descendant vers le puente Fitero.
À la fin de ce chemin, peu avant le pont, nous passons à côté de l'ermitage San Nicolás élevé, au XIIIe siècle, dans un style de transition entre le roman et le gothique. Ce bâtiment appartenait au village de Puente Fitero, aujourd’hui disparu. Dans les années 1990, l’ermitage a pu être sauvé de la ruine par la « Confraternita di San Jacopo di Compostella » basée à Perugia (Italie), c'est actuellement un refuge pour pèlerins.
Le pont, à 11 arches, aurait été érigé, au début du XIIe siècle, à la demande du roi Alphonse VI. Il permet de franchir le Pisuerga ; rivière, de 283 km de long, qui est l’un des principaux affluents du Duero. Le Pisuerga marquait jadis la frontière entre le royaume de León et le comté de Castille ; aujourd'hui, il fait de même avec les limites des provinces de Burgos et Palencia. De l’autre côté du puente Fitero, une stèle annonce que nous sommes, à présent, dans la province de Palencia (une des neuf provinces de la communauté autonome de Castille-et-León) ; nous quittons donc la province de Burgos dans laquelle nous cheminions depuis Redecilla del Camino (entre Santo Domingo de la Calzada et Belorado).
Par un agréable chemin gravillonné, sous les peupliers, non loin de la rivière, nous nous dirigeons vers Itero de la Vega. Sur la gauche, nous découvrons l’ermitage de Nuestra Señora de la Piedad (Notre-Dame de La Piété) ; c’est le seul des cinq ermitages que comptait jadis le village qui subsiste. L'édifice remonte au XIIIe siècle et conserve quelques restes romans même si sa façade est de style gothique.
Au centre d'Itero de la Vega, on peut observer le « rollo » : le rouleau de justice, datant de 1529. Mais le monument le plus important du village est l'église San Pedro, dont l'entrée est l'un des rares vestiges du temple originel du XIIIe siècle ; l'édifice actuel date essentiellement de la Renaissance. Nous effectuons la pause de midi, sur un banc, près de l’église.
Dès la sortie du village, nous nous retrouvons au milieu des champs, sur un large chemin caillouteux. En ce Vendredi saint (jour férié en Espagne), il y a du monde sur le Camino Francés et sur ce parcours, quasi rectiligne, d’un peu plus de sept kilomètres, on peut aisément voir les nombreux marcheurs devant et derrière nous. Au début de ce long chemin, nous franchissons le canal de Pisuerga. D’une longueur de 70 km, il a été mis en service en 1932 afin de fournir de l’eau pour l’irrigation des cultures (céréales essentiellement). Nous sommes ensuite contents de trouver un petit bosquet pour y faire une petite pause à l’ombre… la majorité du parcours se déroulant sur un chemin où il y a très peu d’arbres.
Par un chemin rocailleux, nous arrivons vers 14 h à l’entrée de Boadilla del Camino. La première mention de la ville remonte à la rédaction du Fuero (Charte) de Melgar de Suso, en l’an 950, puis de son repeuplement par Fernán Armentález vassal de Fernán González, le légendaire comte qui émancipa la Castille du royaume de León. L’essor le plus important eut lieu aux XVe et XVIe siècles quand le rollo, l’église actuelle et l’hôpital pour pèlerins furent édifiés.
Le rollo a été érigé au XVe siècle comme symbole de l'autonomie juridictionnelle que la cité possédait grâce à un privilège d'Enrique IV de Castille (1467), confirmé par les Rois Catholiques en 1482, par lequel la ville a cessé d'être soumise aux droits de juridiction des messieurs de Melgar et Castrojeriz. On évita la destruction décrétée par les Cortes de Cadix, en 1813, car ce rollo était tout le contraire d'un symbole de vassalité. C'est sans doute le plus haut des rollos de la province de Palencia puisqu'il mesure 7,60 m et 12,30 m de périmètre à la base. Joliment décoré, notamment de divers motifs inspirés du Chemin de Compostelle, il est de style ogival. C'était au pied du monument que les condamnés étaient attachés avec des chaînes, pour les exposer à la honte publique, avant qu'ils ne soient jugés.
L’église Sainte-Marie de l’Assomption a été construite sur une église romane antérieure dont on peut encore voir des vestiges à la base de la tour actuelle. Le chevet date de la seconde moitié du XVIe siècle, tandis que le corps de l'église date du début du XVIIe siècle, avec des modifications au XVIIIe siècle.
Le retable principal, situé dans la nef centrale, est dédié à la Vierge Marie, dont l'image sculpturale assise est d'une grande valeur artistique, et est composée de sculptures et de peintures représentant différentes scènes de sa vie. Sur un autel latéral, on trouve un Ecce homo, un Christ attaché à la colonne, de belle facture et qui fut transféré en ce lieu lorsque les autres églises du village ont été abandonnées. Les fonts baptismaux roman datent du XIIIe siècle et proviennent de l'ancienne église.
Par un chemin de terre, le long d’un petit canal d’irrigation, nous quittons Boadilla del Camino et parvenons, peu après, au bord du canal de Castille ; pendant trois kilomètres, nous marchons le long de cet ouvrage hydraulique… un agréable parcours où nous retrouvons Dany et Michel avec qui nous finissons cette étape.
Bien qu'il y ait eu des projets similaires aux XVIe et XVIIe siècles, ce n'est qu'au milieu du XVIIIe siècle que Ferdinand VI et son ministre le plus influent, le marquis de la Ensenada, ont commencé à réfléchir à un plan ambitieux pour développer l'économie espagnole. L'objectif principal de la construction était de stimuler le commerce en permettant à la production de blé d'être transportée de la Castille vers les ports du nord et vers d'autres marchés à partir de là ; inversement, le canal devait également faciliter l'afflux de produits des colonies espagnoles vers la Castille.
La guerre d'indépendance espagnole, les contraintes budgétaires et le passage difficile des monts Cantabriques ont entravé et finalement réduit le plan initial de 400 km, de sorte que le canal n'a jamais atteint le golfe de Gascogne comme prévu. Au total, sa construction a duré près de 100 ans (de 1753 à 1849) et a finalement été interrompue lorsque les chemins de fer ont été construits dans le nord de l'Espagne au XIXe siècle, supplantant le projet.
C'est entre 1850 et 1860 que le canal a été le plus utilisé avant de devenir la colonne vertébrale d'un vaste système d'irrigation en raison de sa relative inefficacité et de sa lenteur par rapport au fret ferroviaire comme moyen de transport. Semblable à un « Y » inversé, le canal s'étend sur 207 km et relie les villes d'Alar del Rey, considérée comme le début de la branche nord (75 km), de Valladolid et de Medina de Rioseco, situées respectivement à l'extrémité de la branche sud (54 km) et de la branche de Campos (78 km). La largeur du canal varie entre 11 et 22 mètres, la profondeur entre 1,8 et 3 mètres.
Sur un total de 49 écluses, 24 se situent sur la branche nord que nous longeons ici. À Fromista, on trouve le plus grand jeu d'écluses du canal que forment les quatre écluses, 17 à 20 ; elles franchissent la plus grande dénivellation du parcours, soit un peu plus de 14 mètres. C’est là que nous traversons et quittons le canal.
Nous passons sous une ligne de chemin de fer, puis par l’avenida Carmen Montes, nous arrivons, peu avant 16 h, au centre de Frómista où se termine cette étape. En fin d’après-midi, nous visitons, en face de l’hôtel, l’église San Martín.
L’église a été construite dans la seconde moitié du XIe siècle, à la demande de Doña Mayor de Castille, dans le cadre d'un monastère qui n'existe plus. Après avoir changé de mains à plusieurs reprises au cours du Moyen Âge, et à la suite de sa séparation définitive du monastère, l'édifice a subi des ajouts au cours du XVe siècle, dont une tour qui servait de clocher au-dessus de la coupole d'origine, et plusieurs dépendances. À cause de ces nombreuses modifications, l'église s'est progressivement dégradée et fut fermée au culte à la fin du XIXe siècle.
Les travaux de restauration ont commencé peu de temps après qu'elle ait été déclarée monument national en 1894. L'architecte s'est efforcé de restaurer l'église dans son état d'origine, en éliminant les ajouts postérieurs. Les chapiteaux et les corbeaux les plus détériorés ont été transférés au musée archéologique de Palencia et remplacés par des reproductions. En 1904, l'église a été rouverte au public. Aujourd'hui, on peut voir, à l'intérieur, une maquette qui représente la situation de l'édifice au moment de sa restauration.
L'aspect extérieur de l'église est caractéristique de l'époque romane. La coupole octogonale du transept et les deux tours cylindriques situées de part et d'autre de la façade principale se détachent sur les nefs basses. Les trois nefs, voûtées en berceau, la centrale plus large et plus haute que les latérales, se terminent par trois absides semi-circulaires. L'église possède quatre entrées, mais seules deux d'entre elles sont encore utilisées : celle de la façade principale, la plus richement décorée, et celle de la façade sud (aujourd'hui entrée du public).
Sur les façades, sous la forme d'une corniche, il y a une décoration en damier de pierre à différentes hauteurs. Sous les avant-toits, on découvre plus de 300 petits corbeaux, avec des figures semblables à des gargouilles, représentant des animaux, des êtres humains et des êtres mythologiques ou fantastiques.
L'intérieur de l'église, d’une grande sobriété, présente quelques éléments décoratifs intéressants. Les chapiteaux des colonnes (dont certains sont des reconstitutions modernes des originaux) sont remarquables, avec des images de plantes, d'animaux ou de récits. Parmi eux, ceux consacrés à l'histoire d'Adam et Ève ou à la fable du « Corbeau et du Renard » valent la peine d'être regardés de plus près. Les corniches en damier apparaissent également à l'intérieur, à des hauteurs différentes.