Groene Gordel : Groenendael → Vossem (19 km) - février 2016
Nous commençons cette étape, peu après 9h, en empruntant un sentier, devant la gare de Groenendael, qui nous fait directement pénétrer dans la forêt de Soignes.
Au XIIIe siècle, cette forêt appartient aux ducs de Brabant qui en ont fait leur immense terrain de chasse. Grâce aux progrès techniques agricoles et à un contexte politique plus serein, la croissance démographique explose ; après d’importants défrichements, de nouveaux villages se créent en bordure de la forêt. Pour limiter son exploitation incontrôlée par la population, les ducs de Brabant instituent des gardes forestiers et édictent un premier code de la forêt. D’un autre côté, ils concèdent d’importants territoires forestiers à des communautés religieuses pour qu’elles y établissent leur monastère ou prieuré. L’abbaye de la Cambre, les prieurés de Val Duchesse, Groenendael, Rouge-Cloître naissent dans ces circonstances.
Au cours des siècles suivants, la forêt est surexploitée. En 1786, 22 % de la superficie totale de la forêt se retrouvent sans peuplements. À son arrivée en tant que directeur des plantations, Joachim Zinner propose de remplacer les coupes et les espaces vides par de grandes monocultures d’arbres de même essence et de même âge, densément plantés pour maximiser la rentabilité et privilégier la production de bois d’œuvre. Ces plantations sont à l’origine de la hêtraie cathédrale.
Durant la période hollandaise, pour combler le déficit des finances publiques, Guillaume Ier cède les 11 700 hectares de la forêt de Soignes à la Société générale. Dans les mains de l’institution financière, le massif forestier va perdre plus de 60 % de sa superficie ! En effet, craignant après la révolution belge de devoir rétrocéder au jeune gouvernement cette propriété reçue du souverain chassé, la Société générale met en vente de nombreux lots qui sont ensuite défrichés pour en faire des terrains agricoles ou de grandes propriétés foncières en bordure de la capitale. En 1843, ce qu’il reste de la forêt de Soignes, soit environ 4 400 hectares, est rendu à l’État belge.
Nous longeons quelques étangs et grimpons ensuite, d’une dizaine de mètres, le long du Konijnholpad. Après 2,5 km, nous quittons le massif forestier et traversons la chaussée de Bruxelles. Nous suivons la Koedalstraat pendant deux kilomètres ; ce chemin, quasi rectiligne, nous fait progresser entre champs et prairies.
En contrebas du chemin, nous pouvons voir quelques serres, car nous sommes ici, à Hoeilaart, dans la « Druivenstreek » (la région du raisin). Une triple combinaison permet ici la culture du raisin de table en serres chauffées : un climat modéré et humide, l’orientation de la vallée de l’Ijse (avec des pentes exposées au sud) et des terres bien drainées. En juillet 2008, le raisin de table produit dans les communes d'Overijse, Hoeilaart, Huldenberg et Tervuren a été le premier produit à recevoir une AOC en Flandre.
En 1861, c’est dans la serre du château d’Huldenberg qu'un jardinier s’est lancé, avec succès, dans la culture de la vigne. Quatre ans plus tard, il construit à Hoeilaart la première serre de viticulture, y apportant les améliorations techniques nécessaires pour déjà permettre une récolte au printemps. Au cours des décennies suivantes, la construction de serres s’est multipliée dans la région. Selon le recensement agricole de 1910, la commune d’Hoeilaart, par exemple, comptait 5 176 serres. En 1961, le nombre total de serres atteignait son sommet avec 34 929 unités. Après la mise en place de la Communauté économique européenne et les crises énergétiques de 1973 et 1979, la viticulture a connu un important recul dans la région.
Nous traversons un quartier résidentiel avant de franchir l’autoroute E411. Il est 11h30 lorsque nous entrons dans Jezus-Eik (Notre-Dame-au-Bois en français) où nous effectuons la pause pique-nique. Plutôt que de me rendre directement au café, je préfère prendre quelques minutes pour visiter l’église.
Jadis, un imposant chêne : « le chêne du diable » s'élevait dans la vaste et sombre forêt de Soignes. Quelques prêcheurs fanatiques s’empressèrent d'y accrocher un crucifix. Maintes fois, le chêne du diable, malgré sa divine protection, attira la foudre. Néanmoins, il ne faiblit pas ni ne se consuma… mais la croix de Jésus devint de plus en plus fragile.
En 1632, Petrus Vandenkerckhoven, boucher bruxellois, se proposa de trouver une statue de Notre-Dame pour exorciser de toute crainte le chêne diabolique. Mais la statue était si jolie que la fille de Petrus en fit sa poupée favorite et refusa de la rendre à son père. En 1635, la peste faisait des ravages. Sentant sa mort proche, Petrus pria ses enfants d'accomplir son vœu : ils devaient placer la statue dans le chêne et l'offrir à la dévotion de tous les passants. La foi des braves gens y fit naître tant de merveilles et de miracles que l’endroit devint un haut lieu de pèlerinage. Les paroisses d'Overijse et de Tervuren se disputèrent très rapidement ce lieu prospère. L'archevêque décida de les ignorer toutes deux et d'en donner la gestion à l'abbaye du Parc à Heverlee.
À partir de 1642, à côté du chêne, le recteur fit ériger une chapelle qui devint rapidement trop petite. Tant de guérisons s'y produisaient qu'il fallut discipliner quelque peu l'enthousiasme des pèlerins ; chacun voulant ramener un petit morceau de l'arbre miraculeux, il devenait urgent d'agir. On décida alors de scier le chêne qui menaçait de tomber et de construire, sur les restes du tronc et des racines, une chapelle plus grande. Les restes du chêne et de la petite chapelle se trouvent sous le maître-autel.
En 1648, le gouverneur des Pays-Bas donna l'autorisation aux Norbertins de construire une église. Le 20 avril 1650, l'archiduc Léopold-Guillaume, cousin du roi d'Espagne, Philippe IV, posa la première pierre. Le pavement en damier noir et blanc, que l'on peut toujours admirer, a été placé en 1672. Sur les murs du chœur et les autels latéraux, on trouve des lambris marbrés en bois qui comportent tout un ensemble de peintures votives, dont treize portraits d’enfants. Ces portraits ont été placés en signe de gratitude pour une guérison ou pour une faveur obtenue, comme gage contre les maladies et accidents ou pour garder vivant le souvenir d’un enfant. Les vitraux, récents, représentent l’histoire de la statue et de Jezus-Eik (le chêne de Jésus).
Après la pause, nous nous mettons en route pour parcourir les 12 km de l’après-midi ; les six premiers se dérouleront dans la forêt de Soignes. À un carrefour de plusieurs chemins, nous croisons les GR 512 et GR 579 avec qui nous ferons parcours commun pendant 3,5 km. Le GR 512 : Brabantse heuvelroute relie, en 173 km, Diest à Geraardsbergen (Grammont) et traverse donc d’est en ouest le Brabant flamand et la Flandre orientale. Le GR 579 : Bruxelles - Liège permet, en 160 km, de relier ces deux grandes villes.
Nous progressons sur un chemin dénommé la « Promenade Royale », une large allée qui serpente à travers l’arboretum de Tervuren. Ce dernier, créé à partir de 1902 sur un terrain appartenant au roi Léopold II, fera ensuite partie de la Donation royale. Le site couvre une superficie d’environ 100 hectares, et compte 460 espèces d’arbres différentes (dont 305 feuillus et 155 conifères).
À la différence des arboretums de type systématique (regroupant les différentes espèces par genres et familles botaniques) ou des arboretums de type forestier (présentant une seule espèce par parcelle), le principe est ici de reproduire les différents paysages des forêts des régions tempérées, principalement de l’hémisphère nord. L’objectif principal étant l’étude des caractéristiques des essences et des différents modèles forestiers, ainsi que leur capacité d’acclimatation. Bien des espèces botaniques que l’on trouve en Asie et en Amérique du Nord correspondent ou sont très proches de celles disparues d’Europe au cours des glaciations.
L’arboretum est divisé en deux grandes zones : à l’est, des plantations provenant des régions tempérées d’Amérique du Nord ; à l’ouest, des arbres originaires d’Europe et d’Asie. Chacune de ces deux zones est divisée en une vingtaine de parcelles numérotées, elles-mêmes comprenant des sous-groupes. Ces numérotations, correspondant à différents biotopes, sont mentionnées sur de petits écriteaux. Les parcelles sont séparées par de vastes clairières engazonnées, des allées et des pièces d’eau.
Tandis que nous perdons progressivement de l’altitude, nous atteignons un carrefour où se trouve un beau poteau indicateur. Ce dernier nous informe que le GR 512 ainsi que le GR 579 (même s’il n’est pas renseigné) s’en vont vers Huldenberg et que le Streek-GR Dijleland nous rejoint ici. Ce circuit, qui nous tiendra compagnie jusqu’à Vossem, effectue, au départ de Louvain, une grande boucle de 131 km en passant, notamment, par Malines et Tervuren.
Le tracé jaune et rouge nous emmène vers le centre de Tervuren en suivant, dans un quartier résidentiel, le cours de la Voer qui est ici proche de sa source. Sur notre droite, tandis que nous longeons des étangs, nous découvrons le château de Robiano dont l’origine est sans doute très ancienne.
Au XIVe siècle, les registres des vicomtes de Tervuren mentionnent Jan Van Assche comme propriétaire de la cour. Vers 1404, Jan Hertewyck fait construire, à côté de la cour, une grande maison de plaisance en pierre. À partir de cette période, toute une série de propriétaires se succéderont. Ceux-ci s’intéressent d’une part au profit de la ferme qu’ils louent et considèrent d’autre part le château comme une sorte de résidence secondaire.
En 1796, Jeanne-Marie Norbertine de Limpens et son époux Jean-Joseph de Robiano entrent en possession du château. Le bien est dès lors baptisé « château de Robiano ». Leur fils Louis, marié à une Allemande, en devient propriétaire en 1837. Ferdinand, le petit-fils de Louis, en hérite en 1914, mais en raison de ses origines, il est appelé à servir dans l’armée allemande et s’installe à Paderborn avec sa famille. Le château et les biens sont confisqués par l’armée en 1918.
Vu son passé militaire, Ferdinand n’a plus la possibilité de revenir en Belgique. La famille décide alors de faire don d’une partie de ses possessions et d’en vendre une autre. L’un des acquéreurs achète la cour, le château et de nombreuses terres. Dès 1921, le château accueille des colonies de vacances pour enfants. La propriété est vendue en 1994 à une entreprise américaine de logiciels. Après d’importants travaux de rénovation, celle-ci installe, en 1997, ses bureaux dans le château.
Un peu plus loin, nous contournons l’église Saint-Jean l’Évangéliste et, par une belle drève, nous pénétrons dans le parc de Tervuren où nous cheminerons durant trois kilomètres. Ce parc de 207 ha, entièrement entouré de hauts murs avec quelques anciennes portes d'entrée, est superbe. Une partie, devant le musée royal de l’Afrique centrale, est aménagée en jardin à la française ; l'autre partie, autour des étangs, est aménagée à l'anglaise.
Pour donner une vitrine à son Congo et une idée du potentiel économique de cette région aux Belges afin d'attirer les investissements, Léopold II souhaitait aménager une sorte de musée. Celui-ci mettrait en scène les objets originaux, importés en quantité, suivant une approche multidisciplinaire. À l’occasion de l’Exposition universelle de 1897, le roi fait construire, dans le domaine royal de Tervuren, le « palais des Colonies ». Cette exposition temporaire faisait la part belle, à côté des « curiosités » du Congo (animaux empaillés et objets d’intérêt ethnographique), aux produits d’exportation : le café, le cacao, le tabac et les essences forestières. Dans le parc, parmi d’autres « attractions », on trouvait un zoo humain d’une centaine de Congolais logés dans des villages africains reconstitués. Sept d’entre eux y moururent de maladie ou de froid.
Le succès de l’exposition et l’intérêt des scientifiques furent tels qu’on décida de la rendre permanente. Très rapidement, les locaux devinrent trop exigus. Le 30 avril 1910, le roi Albert Ier inaugura le nouveau « musée colonial de Tervuren ». Léopold II était à l'origine de cette initiative, qu'il a financée en grande partie grâce aux bénéfices phénoménaux réalisés par l'État indépendant du Congo. Le souverain est mort quelques jours avant la date d'ouverture initialement prévue, et un an après qu'il eut dû remettre le contrôle du Congo à l'État belge. Jusqu’en 1960, les collections ne cessèrent de s’agrandir par les envois d’objets et d’échantillons de toutes sortes effectués par des militaires, des missionnaires, des administrateurs coloniaux, des commerçants et des scientifiques. Le musée changera d’appellation après l’indépendance du Congo, en 1960, devenant le musée royal de l’Afrique centrale (actuellement en cours de rénovation).
Nous traversons la Waalsebaan et progressons, pour le dernier kilomètre, sur un beau sentier le long de la Voer. C’est peu avant 16h que nous atteignons Vossem où se termine cette étape.